jeudi 25 février 2010

Solvency II est une usine à chômeurs

OLIVIER PASTRÉ EST PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ PARIS-VIII.

Ce titre peut paraître provocateur, mais il est simplement prémonitoire. Dans l'indifférence générale, en pleine crise, les autorités de régulation internationale des compagnies d'assurances sont en train de définir de nouvelles normes prudentielles qui -pour simplifier à peine -vont interdire aux assureurs d'investir en actions. Plus exactement, les exigences de fonds propres complémentaires que les assureurs vont se voir infliger seront tellement lourdes que ceux-ci seront presque obligés de vendre leur portefeuille actions (cotées et, plus grave encore, non cotées) ou, à tout le moins, de ne pas accroître celui-ci.

Les assureurs n'ont pas le monopole des régulations procycliques (qui accentuent les crises). Les banques, en effet, n'ont rien à leur envier avec leurs normes comptables (normes IAS) et prudentielles (Bâle II, qui sont très favorables aux crédits « subprime » et très défavorables au capital-développement…). On marche sur la tête ! En plein coeur de la crise (car celle-ci n'est pas finie), tout semble fait pour décourager les institutions financières de faire leur métier (c'est-à-dire de financer les entreprises). Mais ce qu'il y a de plus grave dans le cas des assureurs, c'est que ceux-ci sont, en Europe, les principaux investisseurs à long terme. Pour ne prendre qu'un exemple, l'assurance-vie, constituant le placement préféré des Français (1.200 milliards d'euros d'encours, soit 41 % des placements des ménages en 2008), le portefeuille actions des assureurs français représentait 352 milliards d'euros en 2008, soit l'équivalent de 40 % de la capitalisation boursière de la place de Paris.

Décourager les assureurs d'investir en actions va avoir trois effets négatifs au moins. Le premier est évident : moins d'actions, cela veut dire un rendement moindre des contrats d'assurance-vie et donc des retraites, et, pour les mutualistes, d'inévitables augmentations des tarifs (de 20 % environ, selon les premières estimations). Au moment même où se pose, en France notamment, le problème de financement des retraites par répartition, quelle bonne idée ! Deuxième effet : un financement plus difficile pour les entreprises, et pour les PME en particulier. Au moment même où les banques sont plus frileuses (et plus contraintes réglementairement, elles aussi), chapeau ! Troisième effet, les Américains appliquant avec moins de zèle que les Européens les règles prudentielles internationales et disposant de fonds de pension (qui ne sont pas soumis à Solvency II et qui pourront donc tranquillement racheter le CAC 40), on ne peut offrir, comme sur un plateau, avantage compétitif plus merveilleux à nos concurrents anglo-saxons. Génial ! Si l'on rajoute à cela que les banques vont être poussées par leurs propres règles prudentielles à vendre leurs compagnies d'assurances (la compagnie néerlandaise ING a déjà ouvert le bal), remettant ainsi en cause le modèle européen de banque-assurance (qui a, mieux que celui de Lehman Brothers, résisté à la crise), on a une petite idée de ce que l'avenir nous prépare.

Il faut cesser de croire que les modifications des réglementations financières n'ont aucun impact social. Moins de retraites et, surtout, moins de financements des entreprises, cela se traduit aussi par de la « casse » humaine. Il n'est que de constater la dégradation des conditions d'existence de certaines catégories de retraités ou d'observer les « dégâts du progrès » dans les entreprises qui déposent leur bilan faute de financement, pour s'en rendre compte. Des morts indirectement liés à Solvency II il y en aura donc. Mais, plus grave, car d'importance macroéconomique plus grande, Solvency II, appliqué dans sa configuration actuelle par l'ensemble des compagnies d'assurances, pourrait, en accentuant le « financing crunch » dont souffrent les entreprises aujourd'hui, conduire à des centaines de milliers de chômeurs en plus. En a-t-on vraiment besoin ? Solvency II, réforme concoctée en chambre, est probablement une des réformes financières dont le pouvoir de destruction d'emplois est le plus élevé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Que faire face à ce risque ? Les assureurs européens doivent mettre entre parenthèses leurs petites querelles intestines (entre assureurs privés et assureurs mutualistes notamment) pour exiger des mesures d'impact de cette nouvelle régulation qui ne s'arrêtent pas aux frontières de la finance. Et, surtout, les politiques doivent cesser de considérer qu'il s'agit d'un problème strictement technique. Le régulateur européen (le Ceiops) continuant à faire comme si de rien n'était, il est urgent d'agir et de donner de la voix.


http://www.lesechos.fr/journal20100225/lec1_idees/020380639954-solvency-ii-est-une-usine-a-chomeurs.htm

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